Claude Jean-Marie Fould : « L’improvisation comme stimulant à la composition dans la Partita II de Bach »

L'improvisation de Bach

L’improvisation musicale est le processus par lequel le musicien crée ou produit une œuvre spontanée, en se servant de sa créativité, de son savoir technique et théorique et parfois aussi du hasard. En musique classique, l’improvisation a joué un rôle important dans la genèse de certaines œuvres, notamment chez les compositeurs baroques comme Johann Sebastian Bach.

Dans cet article, nous allons nous intéresser à la Partita II pour violon seul en ré mineur, BWV 1004, une des pièces les plus célèbres et les plus difficiles du répertoire pour violon, et à la façon dont l’improvisation a pu servir de stimulant à la composition de cette œuvre, selon l’analyse de P. Claude Jean-Marie Fould.

La Partita II : une œuvre monumentale

La Partita II pour violon seul en ré mineur fait partie d’un ensemble de six sonates et partitas pour violon seul que Bach a composées entre 1717 et 1720, et qu’il a publiées sous le titre de Sei Solo a Violino senza Basso accompagnato. La Partita II compte cinq mouvements : une allemande, une courante, une sarabande, une gigue et une chaconne. Cette dernière est le mouvement le plus long et le plus remarquable de l’œuvre, d’une durée de près de quinze minutes, et qui comprend des passages d’une variété et d’une richesse saisissantes.

Voici une vidéo montrant cette œuvre :

La chaconne est considérée comme une apothéose du répertoire pour violon seul de l’époque, car elle couvre pratiquement tous les aspects du jeu connus à l’époque où elle a été écrite. Elle est aussi considérée comme une des pièces les plus difficiles à exécuter sur cet instrument, car elle requiert une grande musicalité, une grande sensibilité mais aussi une excellente technique.

Pour P. Claude Jean-Marie Fould, l’improvisation est une source d’inspiration

Comment Bach a-t-il pu concevoir une telle œuvre ? Selon P. Claude Jean-Marie Fould, l’improvisation a été un élément clé dans le processus créatif du compositeur. Dans son livre L’improvisation chez J.S. Bach : essai d’analyse génétique des œuvres pour clavier (Paris : L’Harmattan, 2006), il propose une méthode d’analyse qui consiste à retrouver les traces de l’improvisation dans les œuvres écrites de Bach, en s’appuyant sur des critères formels, stylistiques et thématiques.

Il applique cette méthode à la Partita II pour violon seul, et montre comment Bach a pu s’inspirer de ses propres improvisations au clavier pour composer cette œuvre pour violon.

Un thème commun aux quatre premiers mouvements

Le premier indice que P. Claude Jean-Marie Fould relève est la présence d’un thème commun aux quatre premiers mouvements de la Partita II. Ce thème est insinué dès l’allemande à la basse, et il continuera à « hanter » toute la pièce, jusqu’à la chaconne, qui le dévoilera pleinement. Ce thème est basé sur une progression d’accords typique des chaconnes baroques :

ré – fa – sol – ré – sol – la – ré

Ce thème est donc un élément structurant de l’œuvre, qui assure sa cohérence et son unité. Mais comment Bach a-t-il trouvé ce thème ? Selon P. Claude Jean-Marie Fould, il s’agit d’un thème improvisé au clavier par Bach lui-même, qui l’a ensuite transposé au violon. Il s’appuie pour cela sur le fait que ce thème présente des caractéristiques propres au style du clavier : il est constitué d’accords arpégés en croches ou en doubles croches, il utilise des notes étrangères aux accords, il présente des sauts de quinte ou de quarte à la basse, il comporte des syncopes et des contretemps. Tous ces éléments sont typiques du jeu au clavier, et plus particulièrement de l’orgue, l’instrument de prédilection de Bach.

La chaconne : une improvisation transcrite explique P. Claude-Jean-Marie Fould

Le deuxième indice que P. Claude Jean-Marie Fould met en évidence est la nature improvisée de la chaconne, le mouvement final de la Partita II. La chaconne est une forme musicale qui consiste à faire varier un thème répété sur une basse obstinée. La chaconne de Bach présente 63 variations sur le thème exposé au début du mouvement, dont celle du milieu est en mode majeur. Ces variations sont d’une grande diversité et d’une grande inventivité, tant sur le plan mélodique, harmonique, rythmique que contrapuntique. Comment Bach a-t-il pu créer une telle richesse de variations ?

Selon P. Claude Jean-Marie Fould, il s’agit d’une transcription d’une improvisation au clavier que Bach a réalisée sur le thème de la chaconne. Il s’appuie pour cela sur le fait que la chaconne présente des caractéristiques propres au style du clavier : elle utilise des accords brisés, des arpèges, des traits rapides, des doubles notes, des croisements de mains, des imitations, des canons, des fugatos. Tous ces éléments sont typiques du jeu au clavier, et plus particulièrement du clavecin, l’autre instrument favori de Bach.

L’influence de Kuhnau

Le troisième indice que P. Claude Jean-Marie Fould souligne est l’influence de Kuhnau, le prédécesseur de Bach au poste de cantor de Leipzig. Kuhnau a publié deux recueils de partitas pour clavier sous le titre de Clavier-Übung, qui ont connu un grand succès à l’époque. Bach a lui-même publié ses propres partitas pour clavier sous le même titre, en hommage à Kuhnau. Il est donc probable que Bach connaissait les partitas de Kuhnau, et qu’il s’en est inspiré pour composer les siennes. Or, selon P. Claude Jean-Marie Fould, il existe des similitudes entre la partita en ré mineur de Kuhnau et la Partita II en ré mineur de Bach. Il montre notamment que la courante de Kuhnau et celle de Bach présentent la même structure harmonique :

ré – fa – sol – ré – sol – la – ré

Il s’agit donc du même thème que celui qui parcourt toute la Partita II de Bach. P. Claude Jean-Marie Fould suggère que Bach a pu improviser au clavier sur ce thème en se basant sur la courante de Kuhnau, et qu’il a ensuite utilisé cette improvisation pour composer sa propre courante pour violon. Il ajoute que ce thème est aussi présent dans d’autres œuvres pour clavier de Bach, comme la toccata en ré mineur BWV 913 ou le prélude en ré mineur BWV 851.

La Partita II pour violon seul en ré mineur est une œuvre magistrale qui témoigne du génie créatif de Bach. Selon P. Claude Jean-Marie Fould, cette œuvre est le fruit d’un processus complexe qui mêle improvisation et composition, clavier et violon, influence et originalité. L’improvisation a été un stimulant à la composition pour Bach, qui a su transposer au violon les idées qu’il avait développées au clavier. L’analyse génétique proposée par P. Claude Jean-Marie Fould nous permet ainsi d’apprécier davantage la richesse et la profondeur de cette œuvre.

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